Les Rameaux: Hauteur et dénuement
La fête des Rameaux commence en cette année 2012. Ce fut hier pour les catholiques et les "occidentaux". Ce lundi, l'Eglise orthodoxe fait mémoire des martyrs du monastère de saint Sabbas dans le désert de Judée, l'un des premiers lieux du monachisme historique. Dans la tradition russe et slave, la semaine qui vient de commencer s'appelle la "Semaine des rameaux" car après le Samedi de la résurrection de Lazare, l'Eglise de Jérusalem va célébrer l'entrée de Jésus à Jérusalem et les rameaux.
Les rameaux en mains sont une très ancienne tradition du monde sémitique et de la tradition hébraïque. Cela se retrouve dans la langue. Le bouquet festif es tcomposé de quatre espèces: la palm, la myrte, le saule et le cédrat ou gros citron. "Aravot/ערבות " sont ces branches de saule ou osier vert qui étaient placées au quatre extrémités de l'autel au jour de la fête eschatologique de Sukkot ou des Tentes. Au dernier jour, vingt et unième jour de l'année nouvelle juive, jour final où où Dieu va poser Son jugement, le peuple attend la pluie, source de bénédiction et de vie.
La pluie symbolise une année de bénédiction. Alors on jette sur le sol de grandes branches de "aravot/ערבות ". On fappe le sol avec ces branchages pour honorer Dieu et le Le glorifier. C'est ici que nous aurons recours au paradoxe de la langue hébraïque: le mot "arava/ערבה" vient de la racine " 'ARaV/ערב " qui, selon le Talmud Hagig 12b, désigne trois réalités intimement complémentaires. D'une part, la branche de saule qui symbolise l'humilité la plus complète, le dénuement de celui qui ne connaît ni la Loi ni les bonnes oeuvres, mais qui pourtant est indispensable à l'harmonie du bouquet, image du peuple saint. Mais, par ailleurs, aravot désigne aussi la steppe comme en Isaïe 35,1: "Que jubile le désert et la terre aride, que la steppe (arava) exulte e tfleurisse!" Ce lieu est désertique; il a besoin d'être abondamment irrigué pour se déployer et fleurir. Il doit donc bénéficier d'un jugement divin favorable pour exister.
Mais, paradoxalement, aravot se réfère à la gloire divine puisque le mot désigne aussi les hauteurs des cieux, celles qui sont les plus proches du Trône divin. Dans la tradition talmudique, aravot correspond peu ou prou à l'expression chrétienne "au plus haut des cieux". C'est ce que nous lisons dans le psaume 68, 5: "Chantez à Dieu, jouez pour Son Nom, frayez la route à Celui qui chevauche les plus hautes nuées (aravot)."
Ainsi, le mot qui désigne l'humilité et le dénuement le plus total, l'effacement, la pauvreté sert également à nommer ce qui est le plus proche de la Gloire de Dieu et du Trône de Sa majesté. C'est ainsiq ue l'on a compris toute la tradition rabbinique. En ce jour de jugement final, au terme de la fête des Tentes/Sukkot, c'est le peuple tout entier, pauvre, humble mais fidèle, confiant en Son Créteur, qui crie vers Dieu. Il crie en invitant Dieu à crier à sauver Son Renom afin que Son peuple, racheté et sûr de bénéficier des largesses de Dieu, continue d'invoquer Son Nom. Ce peuple es talors certain d'être sauver par grâce.
Enfin, il y a un troisième mot dérivé de la même racine que arava. Il s'agit du'ne variante talmudique "areva / ערבה ". Ce terme désigne un frêle esquif, une nacelle, une auge Talmud Avodah 40a). Il peut nous faire penser au Christ enfant emmailloté dans une mangeoire tandis que les armées célestes chantaient en choeur: "Gloire à Dieu au plus haut des cieux et paix sur la terre aux hommes en qui Il Se complaît."
Certes, l'expression est rigoureusement talmudique, mais il est saisissant, au moment où le Christ est acclamé comme Messie, alors que le peuple bat ces branches et jonche la terre de feuillages, de voir le rapprochement qui existe entre entre ces feuilles qui qui illustrent l'humilité du peuple et le dénuement d'une mangeoire attestée par la tradition dès les premiers jours du Sauveur. Au terme de Sa mission terrestre, après le reniement du monde, ce Sauveurmarche vers Sa Passion. Il remet totalement Sa vie dans les mains de Son Père. Par Sa résurrection et Sa montée aux cieux, Il obtiendra enfin, par-delà la mort, la plus haute glorification auprès d uRoi des cieux.
Lorsque nous tenons nos rameaux en main, ne pensons donc pas à la mort, ni au cimetière. C'est vrai: la tradition juive a toujours insisté sur le fait qu'un cimetière est un lieu "bon, serein et presque joyeux" parce qu'on y goûte enfin la paix définitive de Dieu en compagnie de gens paisibles.
Mais en agitant nos rameaux, nous témoignons que nous sommes bien vivants. Aspergés d'eau pour renouveler le don de notre baptême, nous devons vraiment nous réjouir d'être réunis en église et scander ce Hosanna, Hoshanna pour entrer dans la Passion du Christ avec la conviction d'avoir part à la Résurrection du Messie.
av aleksandr (Winogradsky Frenkel)
(de mon livre "Paroles d'Evangile, Mémorial d'Israël", Fayard 1987, pp. 26-28, introduction du Père Marcel Dubois o.p.)