Thursday, January 29, 2015

Marchons sur la terre des Vivants | Tribune Juive

Le 27 janvier fut arraché par

des hommes de conscience

à la volonté onusienne.

Alexander Winogradsky Frenkel
Alexander Winogradsky Frenkel

En 2005, le « Machin » consentit, grâce à la ténacité de Silvan
Shalom, qui représentait alors l’Etat d’Israël près des Nations unies, à
déclarer la date de libération du camp d’Auschwitz-Birkenau/Oswiecim
par l’Armée Rouge « Jour international » de commémoration… de ce qui fut
un génocide, puis une catastrophe.




L’extermination planifiée du peuple juif,
comme dans le Rouleau d’Esther, devînt un « ferme propos » et le projet
d’une solution dite « finale » (Endlösung) pour le seul fait que le
judaïsme exprime une singularité exceptionnelle.

Parlerait-on du « choix divin » ? Ou encore d’un pacte mythique ou
substantiel entre le Créateur et le Satan, cet obstructeur de vie comme
il est décrit dans le prologue au Livre de Job : « Soit ! dit l’Eternel
au Satan, tous ses biens (de Job) sont en ton pouvoir. Seulement ne
porte pas la main sur lui (= ne le rends pas fou), et le Satan sortit de
devant le Seigneur/וַיֹּאמֶר יְהוָה אֶל-הַשָּׂטָן, הִנֵּה
כָל-אֲשֶׁר-לוֹ בְּיָדֶךָ–רַק אֵלָיו, אַל-תִּשְׁלַח יָדֶךָ; וַיֵּצֵא,
הַשָּׂטָן, מֵעִם, פְּנֵי יְהוָה. » (Job 1, 12).




Qui est sorti de devant Qui voici seulement 70 ans ? Le Satan,
castrateur de l’âme, de la vie, de l’ADN et de toute chair qu’anime une
pensée rationnelle ou prétendue telle ? Ou bien cette éclipse divine 
(Tsimtsoum/ציםצום)  comme si le Roi de l’Univers pouvait s’abstraire à
notre façon de ce qu’Il a créé et n’est pas de notre entendement ?




Cela invite à la lente manducation d’une patience qui nous conduirait
à enjamber les siècles sans juger ni à être dupes de nous-mêmes ou des
autres.




Certains ne croient plus ni en dieu ou les lois. Si, peut-être
quelques règles de base… et encore. D’autres ont « maudit les vivants
avec les os » (klule mit beyner/קללה מיט ביינער, dit-on en yiddish)
comme on entend parfois sussuré, en mineur, dans des milieux
ultra-religieux, la pire des injonctions juives envers un être humain en
yiddish ou en hébreu « que son nom soit effacé de ce monde/yemakh shmo
vezikhro m’oyl’m haze = ימח שמו וזכרו מעולם הזה ». Pendant la guerre,
les hassidim désignaient ainsi le Hauptsturmführer chargé des papiers
d’identité.




D’autres se sont tu(e)s, murmurant, sur des décennies qui semblent
dérisoires au regard de millénaires de vies faites de bénédictions et
d’épreuves : « Yisgaddal veyisqaddash Shmey Rabbo\יתגדל ויתקדש שמה רבא =
Que soit magnifié et sanctifie Son Grand Nom (prononciation yiddish) »,
sachant que nul ne connaît le vrai Nom ni ne peut Le prononcer dans le
monde qu’Il a créé selon Sa volonté et non la nôtre… et qu’Il poursuit.




Qui comprend les pensées humaines, sinon qu’elles sont comme des
vapeurs légères ou éthérées, versatiles. Comme si la folie à vouloir
exister dans le monde consistait à s’en préserver pour vivre. « Que le
fou soit effacé des registres de l’asile pour que tu prennes sa place…
et vives », sourit-on parfois en yiddish.


Qui peut, à ce jour,

prétendre expliquer ou comprendre,

d’une manière ou d’une autre, ce qui s’est produit ?

Sinon que le temps passe imprimant l’oubli,
avec ou sans pardon, selon les consciences. Non seulement le temps
passe mais nul ne peut vraiment s’arroger une identité ou une
non-identité pour cause d’avoir échappé, par inexplicable, à ce trépas
ordonné.

D’autant que la mémoire « shoah’tique » présente aussi ses symptômes d’Alzheimer. Une sorte de « dementia senilia
» ou peut-être une hébéphrénie (démence précoce) qui serait due à
l’immaturité de civilisations bien trop jeunes et qui n’ont su intégrer
les mystères de la création.


L’ÉVIDENCE  DE L’ÉTERNITÉ

Comme en contre-poids, l’Etat d’Israël
déploie ce mystère d’une Parole toujours inédite. On rencontre en Israël
des êtres qui expriment l’évidence de l’éternité par la nature de ce
qu’ils sont.

J’ai connu des centaines, oui, des centaines de personnes, inconnues
ou amies arrivées sans papiers au sortir des camps. Ils ne pouvaient
rien prouver, pas même qu’ils avaient survécu sans existence légale,
sans que l’on puisse parfois confirmer le lieu de leur naissance.
Beaucoup ne pouvaient certifier leur identité que grâce à un document
portant la date programmée de leur assassinat par le seul fait qu’ils
avaient survécu à un camp, voire deux sinon davantage.




Il arrive ces jours-ci qu’à Yad VaSHem ou sur une place dans une
bourgade israélienne, frères et soeurs, parentés se rencontrent au bout
de 60 ans d’exil mental sinon de décès présupposés quand ils ne sont pas
officiellement attestés ! Ou que des enfants découvrent que des pères
ont abandonné leurs familles soviétiques ou assimilées, les effaçant de
leurs consciences… Devine qui vient dîner ce soir dans le Deep South du
Néguev laisse pantois et reste pourtant si humain, trop humain.


LE PAYS OÙ DIEU ACCOMPLIT SA PAROLE

jerusalemrempart
les remparts de Jérusalem

On dira tout sur ce petit pays d’Israël
dont les contours sont aujourd’hui encore incertains. C’est le pays où
Dieu accomplit Sa Parole. C’est du vrai ! Il y a une force tellurique et
magnétique extraordinaire qui sourd des monts de Jérusalem jusqu’aux
extrémités de la terre.

Qui oserait prétendre que seuls 4 % des Juifs israéliens sont
pratiquants ? Ou bien qu’il y aurait des vogues style « restauration »
avec leurs « incou’ayables/incroyables ». Il n’est pas d’autre pays où
l’on est acculé de manière aussi compulsive, irrépressible à se situer
par rapport à la Présence divine, du Saint Béni soit-Il.




Car toute chair juive est miraculée et donc toute âme humaine. On
trouve de tout : le vrai-faux Juif qui a acheté son certificat de
judéité dans un vague centre ex-soviétique. Ou encore la fille, pupille
de la nation dans n’importe quel pays du monde, qui rend grâce à Dieu
d’avoir été abandonnée car, alors, ô oui !, elle serait peut-être de la
même race que les Prophètes sinon Jésus en personne.




D’autres sont devenus « juifs » par délation, par cette soif
insatiable, mêlée de haine, de jalousie, de bassesse ou d’instinct
grégaire, de convoitise à prendre, voler, spolier, berner et faire du
mal sans un gramme de cervelle.




Un peu comme dans le livre La 25ème heure écrit par Virgil Gheorghiu…
qui termina ses jours à la tête de l’Eglise orthodoxe roumaine en
Europe. Pour lui, comme pour tant d’autres, il était si simple qu’un
paysan soit dénoncé comme « juif » alors qu’il était chrétien mais avait
une femme si désirable et une ferme bien rentable.




Le même récit, souvent bien plus sordide s’est répété à travers une
Europe dont les antiques frayeurs indo-européennes continuaient de se
nourrir de trolls, d’esprit malfaisants, de diablotins, de mauvais sorts
comme ancrés à des âmes obsédées par le pouvoir et l’avilissement
d’autrui. C’est païen. Cela le reste. Quand on porte un toast dans les
langues nordiques, on dit « skål [skol] = crâne » parce qu’on servait
l’aquavit dans les crânes d’ennemis bien scalpés. En hébreu, on dit «
לחיים! = à la vie ». Ce n’est pas la même perspective.




Ignace de Loyola pleurait abondamment son regret de ne point être de
naissance judaïque… D’autres s’entichent volontiers, voire même à mort
tant ils ne peuvent masquer qui ils sont, à feindre d’être plus juifs
que les Hébreux, tirant des balles réelles sur leur propre identité.




Il y aurait une sorte d’obsession existentielle comme si naître
d’entrailles hébraïques conférait un pédigree tissé de cellules ADN
branchées sur le Jardin d’Eden. Cela crée des êtres qui culbutent sur
eux-mêmes et les autres. On en trouve partout dans le monde – de manière
très concentrée à Jérusalem et des Lieux Saints.


NOUS SOMMES TOUS DES FILS DE CAÏN

Non ! Rien n’y fait : nous sommes tous des
fils de Caïn. C’est là le hic. C’est d’ailleurs pour cette raison que
l’on se croise sans se reconnaître, que l’on se fréquente sans trop le
dire. Nous sommes tous des assassins, mais allez donc savoir qui l’est
davantage ! Que dire sinon que toute cette histoire multiséculaire est
sordide ou tragi-comique.

Ce sont des soldats officiellement « athéistes » et fiers d’une
Internationale aujourd’hui en déroute qui, par hasard, affirment-ils,
découvrirent environ huit mille pauvres hères désossés au milieu de
baraquements en ruine. Telle est la grandeur de l’Armée Rouge
solennellement rappelée sans humour ou dérision, par le Patriarche
Cyrille de Moscou et de toutes les Russies quand il vint acquitter une
dette phénoménale d’électricité due par les six Eglises présentes au
Saint Sépulcre à Jérusalem.


Il déposa alors une couronne de fleurs à Yad VaShem, sans dire un mot
de la réalité judéo-israélienne locale ; il insista sur l’action
salvifique de l’Armée soviétique qui libéra les camps, notamment celui
d’Auschwitz-Birkenau, avec l’aide de quelques partisans juifs « qui
quittèrent ensuite l’Armée », ajouta–il avec une sorte de franche
naïveté…




Pouvait-il dire plus ? Non.

Le poids de l’histoire se mesure aussi à
l’aune des silences qu’il faut briser non au couteau mais par à-coups
temporisés. Personne n’obligera jamais une âme réticente à voir ce qui
reste trouble. Le péché n’existe que si l’on est soi-même conscient
d’avoir commis un péché. Il n’existe pas par la conscience ou la volonté
d’autrui.
C’est un travail mental, culturel, social, historique qui requiert
précisément que l’on ne rende pas fou ou enfermé sur soi-même.




Qui oserait penser que toutes ces belles déclarations faites à tous
les mémoriaux, de Yad VaShem, aux lieux mêmes des exterminations,
parlent vraiment de ce qui est toujours indicible dans l’appel à l’être
juif ?




La jalousie tenace envers le scintellement de l’âme juive conduit
toujours des acteurs spirituels (le pape et tous les clergés, quels
qu’ils soient) à se substituer à un devoir d’existence qu’il semble
encore possible d’aliéner à soi-même sans vergogne tout en affirmant que
la Shoah serait universelle.


La substitution donne l’illusion de ne plus devoir demander pardon, donc de réparer.




De quel droit peut-on dévoiler ce qui est caché alors que l’on fait
tout pour enfoncer ses yeux dans du sable. Voir, c’est prendre
conscience. Qui peut prendre conscience, en notre génération, de ce qui
s’est vraiment passé dans ces terres de Pologne marquées au fer par le
sang juif de la rédemption ?


UN SILENCE QUE J’AI CROISÉ TOUTE MA VIE

Alors, il y a le silence. Un silence que
j’ai croisé toute ma vie, comme bien d’autres survivants de toutes
générations. Il y a bien la Parole de Dieu, mais nous pensons en gérer
la grammaire et le lexique.

Il y a ce texte, prétendument non authentique, de Yossel Ben Yossel
Rakover de Ternopol, écrit en yiddish alors que le ghetto de Varsovie
est en flammes et qu’il s’apprête à mourir [in « Di Goldene Keyt/די
גאלדנע קייט »]. Il affirme une chose fondamentalement juive, vraiment
digne d’un Jonas plongeant dans la mer pour sauver des marins terrorisés
et passer trois jours dans le ventre du Grand Poisson (baleine) :


« Toi Dieu, Tu as beau me prendre ma femme,

mes enfants, les miens…

je vais mourir dans quelques minutes,

eh bien malgré Toi, en dépit de Toi,

je continuerai à croire en Toi ».

C’est cela que nous avons vécu au travers
de ces 70 années où une puanteur morale et physique s’est répandue dans
le monde. Mais, il est juif et fils d’Israël celui qui croit, bien
au-delà de toute probabilité ou impossibilité humaine.

Au sortir de Majdanek, brisée par les
pogroms russo-ukrainiens, le communisme, le Holodomor, les nazis et les
délateurs, ma mère jura que son fils parlerait parfaitement l’allemand
et l’ukrainien car il appartiendrait à la génération du pardon et de la
rencontre. Elle ne fut pas comprise, mais j’ai ainsi passé de longs mois
d’enfance dans une famille « naturellement nazie » de Bischofshofen en
Autriche et l’ukrainien ne posait pas de problème dans notre contexte.

Je n’ai plus de famille directe. En
revanche, il appartient à notre génération de chercher et d’exprimer une
forme réelle de réconciliation, sans abuser du mot trop souvent
galvaudé : c’est vrai, nos yeux voient ce que nous n’aurions jamais
imaginé et s’il faut tout faire pour comprendre, nous avons aussi le
devoir d’attendre que cela devienne vraiment possible.

Ce n’est pas Auschwitz qui désigne le Juif… il y a eu les Tziganes,
les Slaves, les handicapés et les malades mentaux, les communistes, les
gays et les lesbiennes, les transsexuels et les  autres… dont de très
nombreux Chrétiens authentiques.




Ce qui désigne le juif, c’est cette ardeur indéfectible à espérer
contre toute espérance. Il y a en Israël une unité viscérale, presque
palpable de ce mystère de la rédemption. Il est impossible de trop
longtemps se voiler la face ou de frimer. Les voiles protègent d’un
climat rugueux comme le désert. Nous sommes dans cette bascule de
l’histoire sans que l’on puisse encore distinguer où le vent et les
intempéries nous conduisent (cf. Luc 12,24).




Le 20ème siècle a été traversé par des génocides progressifs, pour
peu que cela puisse dire les choses de cette manière. On oublie trop
souvent les premiers camps de concentration en Afrique du Sud où les
Boers furent parqués, leurs fermes détruites par la tactique de la terre
brûlée, affamés avec les populations noires (1902), puis les meurtres
en masse contre les Arméniens, les Assyriens et Grecs du Pont-Euxin
chrétiens (1915-1926), le Holodomor ou le meurtre systématisé des
populations d’Ukraine par la famine (1932-1935), l’assassinat et la
haine programmée envers les Sinti, Tziganes, Gitans. Nous sommes entrés
dans l’ère technique du « génocide » défini par Raphaël Lemkin au
Tribunal de Nuremberg.




Le judaïsme a deux jours « officiels » pour rappeler la Shoah : le 10
du mois de Tévèt pour toutes les victimes de la Shoah et des
persécutions envers les Juifs à travers les siècles et le Yom HaShoah
qui suit la fête de Pessah.




Ce 27 janvier est international, inter-racial, au-delà de toute foi,
religion : il ne peut qu’associer toutes les victimes de projets
d’extermination à ceux des Juifs et des 70 Nations symboliques de la
réalité humaine à laquelle nous appartenons tous.




Abba ( père) Alexander Winogradsky Frenkel

 


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