30 novembre 2011
Béatitudes : victime d’un religieux pédophile, elle témoigne au procès
(lire aussi l'enquête Les Béatitudes en redressement spirituel)
Solweig Ely a passé un an dans une "maison" de la communauté des Béatitudes, un groupe catholique fondé en 1973 par un laïc exalté et charismatique, Gérard Croissant, dit "Ephraïm". Ces quelques mois ont "brisé" quinze ans de sa vie. Elle en témoigne dans un ouvrage qui vient de paraître, Le silence et la honte (éd. Michel Lafon).
En 1990, son père et sa mère, brusquement convertie à la religion après une guérison survenue quelques années auparavant, font le choix d'entrer dans la communauté des Béatitudes, abandonnant travail et domicile.
Issue du "renouveau charismatique", un mouvement né dans l'euphorie post-soixante-huitarde au sein de l'Eglise catholique, cette "association de fidèles" mêle une liturgie chantante et dansante, des rites empruntés au judaïsme (le shabbat, notamment), des pratiques de "guérisons psycho-spirituelles", souvent proches de la manipulation mentale, et, surtout, une vie communautaire où cohabitent sans discernement des religieux, des religieuses, des laïcs célibataires et des familles, sous la houlette d'un "berger" tout puissant.
Solweig Ely a 10 ans à l'époque et, dans les premiers temps, la fillette et ses sœurs se réjouissent de rejoindre un tel lieu. Pour son malheur, elle y croise Pierre-Etienne Albert, un religieux, chantre respecté de la communauté. Dénoncé en 2008 par des fidèles, cet homme de 60 ans comparaît mercredi 30 novembre et jeudi 1er décembre, devant le tribunal correctionnel de Rodez (Aveyron) pour plusieurs dizaines d'agressions sexuelles sur mineurs, perpétrées entre le milieu des années 70 et 2000.
"Nid à pervers"
Solweig Ely fut l'une de ses victimes ; elle témoignera au procès, même si elle appréhende de se retrouver face à celui qui pénétrait chaque soir dans sa chambre, au vu et au su de ses propres parents, pour lui faire subir des attouchements. Ils avaient fait vœu de "pauvreté et d'obéissance", précise aujourd'hui leur fille. Une "obéissance" aveugle que Solweig Ely ne s'explique toujours pas et qui s'apparente pour elle, à "de l'emprise mentale, des dérives sectaires". "Pierre-Etienne s'était vraiment introduit dans notre famille, au point d'appeler mes parents "papa" et "maman"", se souvient la jeune femme. Au bout d'un an, ses parents quitteront la "maison" de Mortain (Manche), déstabilisés par l'influence exercée par ses responsables sur leur vie familiale et sans moyens de subsistance propres. Mais sans rompre tout à fait avec les Béatitudes.
Par la suite, la fillette ne recevra jamais le soutien de ses parents, qui refusent de dénoncer le religieux. "On ne parlait jamais de ces choses-là. Pour les gens de la communauté, le mal était à l'extérieur", explique aujourd'hui Solweig Ely, que l'on accuse alors d'être possédée. "Mes parents m'ont emmenée chez un exorciste car j'avais une douleur au genou qui m'empêchait de rester agenouillée pour prier. Pour eux, c'était un signe du démon. On s'est rendu compte plusieurs années plus tard, qu'il s'agissait d'une tumeur et je me suis fait opérer..." .
La rupture de la pré-adolescente avec ses parents intervient rapidement après l'épisode des Béatitudes. Placée en famille d'accueil, la jeune fille débute une longue dérive qui la mènera aux quatre coins de France, en quête d'emploi et d'amour. "J'ai eu un parcours familial plus douloureux que les actes [perpétrés par M. Albert] eux-mêmes. Mais au final, je m'en sors mieux que certaines qui ont été soutenues par leurs parents", confie aujourd'hui la jeune femme, mère de quatre enfants. "Fragiles psychologiquement", ses parents ne se remettront jamais tout à fait de cette affaire et divorceront. Son père, "à l'approche du procès et de la sortie du livre" de sa fille, s'est donné la mort.
Le procès de Rodez sera celui d'un homme et de sa perversion, mais il devrait, en creux, souligner l'aveuglement de la communauté des Béatitudes, et, au delà, celui de l'institution catholique dans son ensemble face aux dérives de mouvements qui s'en réclamaient et qui ont vu le jour sans discernement ni accompagnement.
Alors que l'Eglise catholique s'efforce aujourd'hui d'assainir cette communauté réduite à 640 personnes à travers le monde, Solweig Ely aimerait que ce procès ouvre la voie à une remise en question de "ce type d'organisations, des nids à pervers qui ne doivent plus avoir d'existence légale".
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6 commentaires à Béatitudes : victime d’un religieux pédophile, elle témoigne au procès
//Le procès de Rodez sera celui d’un homme et de sa perversion, mais il devrait, en creux, souligner l’aveuglement de la communauté des Béatitudes, et, au delà, celui de l’institution catholique dans son ensemble//
Aveuglement, ou laisser-faire ?
Rédigé par : Ecoeuré | le 30 novembre 2011 à 11:16 | Répondre | Alerter |
Vous dites dans votre article : //Quant aux agressions sexuelles, » infiniment regrettables « , elles doivent être replacées » dans le contexte général d’impréparation, voire d’aveuglement des esprits et de la société, face au drame de la pédophilie avant l’affaire d’Outreau « , précise le religieux.//
Tactique de relativisation connue : « les autres l’ont fait aussi ». Ce qu’oublie de dire Donnaud c’est la spécificité de l’Eglise, où il est demandé d’obéir « perinde ac cadaver » à une entité supérieure et à ses représentants sur terre.
Cette affaire ressemble fâcheusement à celle des Légionnaires du Christ, pendant longtemps fort en cour au Vatican.
Quant au « Frère », qu’il ne se défausse pas de sa propre responsabilité !
Rédigé par : Ecoeuré | le 30 novembre 2011 à 11:48 | Répondre | Alerter |
il est imperatif que tous ces cures se marient comme les autres et deviennent « normaux » avant de faire subir des sevices aux adolescents. J’ai subi des « attouchements » sur mon sexe a l’age de 12 ans [pretres jesuites College St Michel a Bruxelles] mais j’ai toujours renonce et ils n’ont pas insiste heureusement. Ils sont « malades »…………Andre (pas d’accents car portable anglais/qwerty)
Rédigé par : vermeer | le 30 novembre 2011 à 11:55 | Répondre | Alerter |
L’article est bon. La situation est complexe. Pour ma part, dans les années 1980, je fus souvent invité à visiter les communautés du « Lion de Juda et de l’Agneau Immolé »; vivant toujours à Jérusalem où j’ai une charge pastorale au patriarcat orthodoxe de Jérusalem, le nom faisait plus que sourire, surtout en hébreu. Qui allait-on égorger? Certaines personnalités européennes ont essayé de faire croire que Mortain était un lieu de passage obligé. J’ai toujours refusé de m’y rendre. Il est frappant de voir que les « Béatitudes » doivent assumer la compassion réelle témoignée envers des gens « paumées ou borderline ». Un accueil souvent fraternel, agrémenté de légumes. Il reste que l’autoritarisme, la « prétention » spirituelle ont conduit à justifier des pratiques comme celles qui sont mentionnées en cour de justice. Prestige étonnant qui faisait d’un ancien pasteur, prétendument « juif d’origine » et de sa famille un initiateur de groupe prestigieux qui mélange encore a volo toutes les traditions liturgiques et spirituelles. On mesure dans sa fuite au Rwanda et/ou ailleurs un gaspillage dont on ne peut que rester stupéfait. C’est totalement incroyable que des êtres humains puissent ainsi revendiquer un pouvoir spirituel et « directionnel » si abusif sans être sous contrôle, sinon par le silence d’une Eglise qui a toujours raison. Je ne condamne pas car les mêmes phénomènes et exactions se produisent en ce moment dans toutes les confessions (Islande luthérienne, Irlande, Pays-Bas, Autriche sinistrée – rabbins en prison en Israël, l’orthodoxie n’est pas abesnete de ce tableau effroyable). En revanche, il serait utile de limiter les désirs de pouvoir, voire assurer pour le bien des personnes, des âmes et de leur cheminement une certaine alternance et modération. Il est aberrant de voir les détournements financiers, immobiliers, affectifs exécutés au nom de « visions prophétiques et de parler en langues ». Et aussi le pillage intellectuel qu’il faudra un jour clarifier sur des textes et écrits qui furent simplement pris à d’autres et « captés ». La captation est une maladie spirituelle particulièrement grave à toutes les étapes du processus. On attend aussi plus de courage de toute autorité ecclésiale. Il faut saluer le courage tenace de certains qui ont permis que la question soit portée devant un tribunal français. Dans leur tenacité, il y sûrement une persévérance rare dans la foi. En termes chrétiens, il est évident qu’il faut prier. Mais il ne faut pas que ces news détourne de la foi ou de la démarche sincère proposée par le Dieu et l’Eglise.
Rédigé par : abbaa | le 30 novembre 2011 à 14:47 | Répondre | Alerter |
Vous ne condamnez pas ?
Vous trouvez que le détournement de textes religieux est plus grave que le détournement de mineur ?
Le glissement de la morale dans les cercles religieux fait peur !
Rédigé par : M'enfin! | le 30 novembre 2011 à 20:55 | Répondre | Alerter |
Je ne sais pas qui a écrit juste à ma suite, ce n’est pas signé ni référencié.
Il est facile, dans une presse sécularisée et où le journalisme religieux est une gageure et même un exploit culturel et spirituel, de présenter des faits de cette gravité. Au moins, Stéphanie le Bars fait son métier.
Son métier n’est sûrement pas de juger et certainement pas de porter une condamnation, qelle qu’elle puisse être. Le journalisme – notamment Le Monde s’y est montré un exemple au cours des décennies – est de présenter, d’analyser, d’expliquer, de présenter les faits sous les angles les plus diversifiés. Au fond, il est possible que la remarque m’ait été en réponse car je parle d’une chose jamais mentionnée: le détournement par la communauté concernée de textes publiés et utilisés sans autorisation!
Le simple fait d’avoir écrit en réponse à cet excellent article – excellent parce qu’il est journalistique et que la journaliste fait son travail d’information sur une affaire qui ne fait que paraître à un tribunal français – ce simple fait est évidemment une condamnation. L’utilisation abusive d’ouvrages violés est grave, il est évident – à moins de faire un procès d’intention irraisonné de tout propos du clergé – que le viol, l’abus physique, mental et spirituel de quiconque est condamnable!
Le croyant est toujours solidaire de la victime comme de celui qui a commis le pire. Disons que c’est du domaine de la foi.
La presse islandaise parle depuis de nombreux mois d’un évêque luthérien décédé dont la fille victimisée à outrance a récemment publié les faits familiaux.
Condamner ne suffit pas; encore faut-il assumer ce que fait une société et réparer ou tout faire pour réparer.
Il faut se garder de juger a priori et systématiquement de ce que l’on ne perçoit pas clairement. Ce procès ne fait que commencer.
Rédigé par : abbaa | le 01 décembre 2011 à 00:18 | Répondre | Alerter |