Thursday, September 27, 2012

Re: Le Pardon

Re: Le Pardon

Cet article poursuit une reflexion menée depuis de nombreuses années sur le "pardon". Il reprend un article paru en 2007 et que j'ai révisé pour ce Kippour 2012.

This articledevelops and prolongs my reflection upon "pardon, forgiveness" to which I try to dedicate my life. It was first issued in 2007 and I revised it yesterday for Kippur 2012.

Après l'office des Vêpres du dimanche soir qui precèdent l'entree dans le temps du Grand Jeûne (Carême) qui debute le lundi dans la tradition byzantine, le clerge et les fideles accomplissent un rite profond, signifiant et riche. C'est le Dimanche du Pardon (Прощеное Воскресенье). Le rite est très long et solennel dans la tradition slave. Apres une série de prières de repentance et de pardon, le clergé de tout rang et les fideles se prosternent deux par deux- face-à-face, se demandent mutuellement pardon pour toutes les fautes volontaires et involontaires, conscientes et non-conscientes et se relèvent en s'embrassant dans l'espérance de la Résurrection. Le rite que nous avons accompli hier au Patriarcat grec-orthodoxe de Jérusalem, était succinct. Souvent le clergé et les fidèles échangent en grec un "kali saratakosti" (bonne quarantaine = de jeune), voire souvent "kalo Passkha". Le Patriarche Theophilos avait lu, au début une prière penitentielle qui implorait le pardon de Dieu. Cinq personnes m'ont dit "tzom kal - צום קל" (jeune paisible, simple) en hébreu. La phrase est curieusement un décalque de celle que l'on dit pour le Yom Kippur, comme si l'on devait mettre l'accent sur le jeûne - en fait, l'accent est sur le pardon et, en hébreu, il serait logique alors de dire "shalom uslikhah - שלום וסליחה".

Le rite provient du Kippur ou "Jour de Grand Pardon". Le pardon s'exprime de manière constant dans la prière chrétienne, mais uniquement en grec dans le Notre Père qui indique: "Padonne-nous nos offenses (péchés, remets-nous nos dettes) comme nous avons déja remis, pardonne à ceux qui nous ont offenses". Mais le sens du Kippour est bien different car il prend un valeur sacrificielle de notre vie comme elle l'était dans la tradition sumérienne et dans le sacrifice au dixieme jour du mois de tishri (nouvelle année d'automne). Pour ceux qui n'en seraient pas persuadés a la lecture du Nouveau Testament, il faut rappeler que l'affirmation du caractère propitiatoire du sacrifice du Christ dans l'épitre aux Romains 3, 25 et l'unité du sacerdoce du Christ dans l' épitre aux Hebreux 9 Ch. 7 et 8 ) presupposent une méditation approfondie de la théologie de Yom Kippour.

Dans le cas du christianisme oriental, il est très significatif que cette demande de pardon se fasse a l'entrée du Careme qui est aussi un temps de réconciliation. Mais c'est un temps ou l'on marche vers la Resurrection. En fait, c'est le temps du debut de la nouvelle année pour la tradition biblique, de la pemière moisson. La participation au mystère de la résurrection du Chist requiert aussi un approfondissement des parole de saint Matthieu (5, 21.24.25). Au verset (19) "Car c'était Dieu qui, dans le Christ, se réconciliait le monde, ne tenant plus compte de la faute des hommes, et mettant en nous la parole de réconciliation." Et: "Celui qui n'avait pas connu le peche, Il (Dieu) L'a fait pour nous sacrifice pour le péche (grec: amartian epoiesen = asham en hebreu) afin qu'en Lui nous devenions justices de Dieu (2 Corinthiens 17-21).

Comme le mois nouveau de Adar (rosh chodesh Adar = ראש חודש אדר) a commencé pratiquement pendant le shabbat car la lune est alors née (a 11 h.10 a Jerusalem), et qu'il faut alors se rejouir, le jeune du Yom Kippour katan יום כיפור קטן - ou "Petit Jour de Pardon" avait ete avance au jeudi. Ces petits Yom Kippour ont été instaurés au 16eme siècle par l'Ecole de Safed puisque la lune est éclairée par le soleil par des reflets qui laisseraient croire qu'elle parait, nait, grandit, devient pleine puis diminue et disparait. Ceci montre une permanence physique dans la fidélité de Dieu qui s'exprime par une dimension de double reflet: de la blancheur lumineuse de la lumiere du soleil sur la lune et de ce reflet de la lune sur la terre.

Peut-on tout pardonner? La question se pose de façon tres réelle a tous les niveaux de la société, mais aussi de la nature humaine. Il y a la question que Simon-Kaipha pose à Jesus: "Combien de fois dois-je pardonner? sept fois?" - Jesus répond; "soixante-dix(-sept) fois sept fois" (Matthieu 18, 21). Que la mesure soit de 49 ou depasse 50, il ne faut pas penser que c'est une mesure déterminée. Elle excède précisement, dans sa symbolique, les 500 qui étaient la mesure ou middah ( mesure parfaite dans le Temple). Ici, la question n'est pas dans un bâtiment ou dans une mesure rituelle. Il y a une plénitude d'une autre nature et c'est là que se situe le pardon. Soyons francs ou ayons l'honnêteté de dire que le pardon le plus élémentaire pour des vétilles pose déja des questions relationnelles énormes. Alors lorsqu'il s'agit de pardonner des manquements bien plus profonds et graves, souvent en lien avec la vie et la mort, la question est bien plus difficile à résoudre.

Le judaïsme français - la sociéte française - est actuellement interrogée par le décès de Maurice Papon. Juge pour crimes contre l'humanite et poursuivi par les associations juives, il permet de s'interroger sur le pardon et ou la justification de son jugement. Pour ma part, omme je l'ai expliqué succinctement dans l'article "Qiyum - Existence 1 et 2", je ne me suis jamais senti réellement solidaire d'une action qui consiste a poursuivre un haut fonctionnaire français dont les manquement - certes très graves (mais moins importants que les actions menées par d'autres qui ne furent jamais inquietes) - ont valu sa dégradation. Le judaisme français avait besoin de trouver une personnalité "représentative, emblématique". Il l'a trouvée en Maurice Papon. Il est tout-à-fait regrettable que d'autres n'aient pas été jugés dans les années qui ont suivi la guerre. Le cas "Papon" devient alors une sorte de constat inachevé. Car il fut ministre de la République sous Giscard d'Estaing, c'est-à-dire que sa vie s'est déroulée d'une manière trop normale. Une accusation et un chatiment justes auraient du intervenir bien auparavant et lui barrer de manière stricte toute possibilité de poursuivre sa carriere. Ce ne fut pas le cas. Et comme souvent en France, les attitudes sont troubles, peu claires, ambivalentes. Par ailleurs, aucune condamnation judiciaire, aucune décision légale ne peut exiger et obtenir le véritable pardon d'un peuple, de certains de ceux qui ont collaborer. La France a réagi avec décence dans bien des cas. La chasse aux nazis a été et reste une oeuvre nécessaire, indispensable; mais elle doit déboucher sur un jugement qui implique une réconciliation humaine et spirituelle a laquelle peu de personnes sont vraiment disposés.

En Israël, cette question se pose a tous les niveaux. Un paroissien a un jour fait venir un ami a la Liturgie du samedi. Je célèbre en effet en plusieurs langues afin d'exprimer cette union de croyants de toutes langues peuples et races (Apocalypse). Le visiteur s'est étonné que nous priions aussi en ukrainien. Le paroissien lui a répondu avec bon sens et compréhension sur la raison de mon choix spirituel et linguistique: prier en Israël et à Jérusalem en hébreu et en ukrainien n'est pas seulement célébrer par gout de varier des langues qui sont d'ailleurs évidents pour des citoyens israéliens qui ont tous un lien avec l'Ukraine.

L'Ukraine était le plus grand ghetto créé par Catherine la Grande. Ici, en Israël, l'extraordinaire cohabitation entre Juifs et non-Juifs d'origine ukrainienne a un degre ou a un autre doit inciter a une reflexion profonde sur un pardon qui reste un mystere qui depasse tout entendement. Priere, sur la Terre Sainte en hebreu et en ukrainien, c'est affirmer en Israel que le pardon peut s'incarner et s'inscrire en faux contre la haine seculaire.
Combien furent les nazis ou fascistes qui reconnurent avoir commis des crimes contre l'humanité? Josef Goebbels, catholique pratiquant, s'est vu proposer, à la veille de son exécution, de se confesser et de parler a un prêtre. Il répondit qu'il n'avait rien a se reprocher. J'ignore si Maurice Papon a reçu ou non les derniers Sacrements de l'Eglise et surtout s'il a confesse quoi que ce soit en rapport avec cette fin de vie en jugement. Cela resterait de l'ordre du secret. Mais il est evident que personne ne peut obliger quiconque a l'aveu. L'Eglise romaine de rite latin en fait une obligation pour recevoir l'absolution sacramentelle. Les Eglises orientales et byzantines ne l'exigent pas.

Un aveu de culpabilité, le remords, la demande de pardon requièrent une disposition de l'âme qui n'est possible que dans un climat de grande paisibilité. Et de confiance. Dans le cas Papon, le malaise est double, tres profond: d'une part, une France politicienne d'après-guerre toujours en train d'essayer de régler son passe (cela concerne encore des membres influents de la politique francaise, comme d'ailleurs Francois Mitterrand en son temps). Et aussi le malaise profond des Juifs de France, pris dans le filet ambigu de l'assimilation trompeuse et d'une déjudaïsation effroyable alors que le judaïsme nord-africain ne revint qu'en 1962, sans pouvoir choisir Israël.

Si j'ai quelqu'appel religieux, je dirais que j'essaye d'être vraiment le témoin du pardon qui me fut inculqué par les miens, en particulier par ma mère, Zénaïde Chai Bassi. Je reste convaincu que le "pardon" est l'âme du judaïsme ET du christianisme et dépasse toute chose démontrable ou explicable. Immatériel, sans que l'on puisse déceler une action de Dieu ou un mouvement humain qui révèle combien une personne change, évolue, se mue au cours de la vie.

Pourtant, le pardon est sans doute la forme la plus élevée, la plus difficile à atteindre pour letre humain. On peut se gausser de paroles. J'ai entendu des sermons, des homélies savantes ou apparemment persuasifs et théologiquement fondés sur le pardon et la nécessité de pardonner. Face aux travaux pratiques, ces paroles se montraient fumeuses et ineptes.

Depuis que j'ai atteint l'âge de raison, je crois pouvoir affirmer que j'ai toujours pardonné, le plus souvent sans tenir en mal ou retenir quoi que ce soit contre quelqu'un. J'ai essayé de donner un exemple dans mon chemin sur le christianisme (Qiyum - existence 2). Mais c'est aussi vrai dans la vie quotidienne. Je me suis rappelé ce matin comment un jeune juif m'a un jour traite de "putz - פוץ - crétin simplet" en yiddish (c'etait il y a presque cinquante ans) et fut obligé de s'excuser, ce que je ne demandais pas. Il y a des cas auxquels j'ai réflechi ces temps derniers: j'aurais dû frapper, répondre, même violemment, en tout cas verbalement. Or, j'ai réagi en prenant beaucoup de distance. Cela m'est naturel, intuitif: le temps est long, très long. Il n'est pas pesant. Il domine tout. Et donc, il est possible de passer, ce qui est d'ailleurs le nom-même de l'Hébreu (Ivri/עברי ). Beaucoup d'exemples de cette nature me viennent à l'esprit. Il y a autre chose: un autre réflexe humain qui allie de manière souple les notions de temps, de compréhension, d'intuition et de "passage au pardon".

L'âme du pardon est de tout supporter, non que tout soit supportable, loin de là! Mais, très souvent au cours de la journée, les paroles du psaume s'imposent à l'esprit "Ils ne savent pas ils ne comprennent pas - לא יודעו לא יבינו". Je n'ai aucune prétention ou même idée de croire que je comprends quelque chose. Si, que la valeur de nos jours, de nos vies est si précieuse, si unique que le pire criminel (et il y en a beaucoup... sous bien des formes), comme aussi chacun de nous, peut réfléchir la lumière du pardon, même au prix du mépris le plus apparent. Le pardon oblige aussi de se taire, de manière volontaire et par dignité. A Jérusalem, il y a des âmes qui crient, hurlent - non seulement les vieilles soufffrances de la persécution anti-juive. Il y a le cri de l'âme de tout habitant, de tout peuple, langue, nation, de souffrances si peu comprises et explicables qu'il ne semble rester que la solution de la déraison. C'est là que le pardon prend son sens sur un chemin pascal.
C'est aujourd'hui le Jour du Grand Pardon 2012/5773. Cet article est souvent consulté dans mon blog. Je l'ai repris de différentes façons. En cette année 5773, le pardon constitue à l'évidence une part importante de mon service de Dieu. Peut-on parler d'un abus voire d'un surcroît ou "trop-plein" exaggéré de pardon de ma part? Beaucoup me le disent mais admettre mes explications: il n'y a vraiment pas de mesure possible, de barrière au pardon humain. Il y va de la conscience.

Jour après jour depuis trois ans et demi, je puis apprécier et évaluer le poids de la densité grasse, lourde, sombre de l'âme humaine dans de multiples circonstances. J'ai donné un exemple dans mon livre "Les Portes Royales: le Sacrement de l'Ordre et le Judaïsme" (Nouvelle Cité 1989). Il s'agit de récit sur R. Souzya. Le saint homme se croyait appelé à une vocation de direction spirituelle, comme cela est d'ailleurs souvent le cas dans tout clergé ou cléricature. Un lien de dépendance dont les "Kleriker/clercs" sont friands. Le rabbin se rendit chez son maître et demanda de recevoir une "bénédiction, grâce" de voir le péchés des vivants... Tellement simple! Le maître lui répondit qu'il n'y avait pas de problème... On dirait "pas de soucis" en françois d'oil actuel (2012).

Le lendemain à l'aube, Rabbi Souzya se promenant dans sa ville, est effrayé par la densité opaque, profonde, noire, sordide de tous les péchés qu'il "visualise" en ligne dans les rues, sur les places, à l'occasion de ses rencontres. Il avait cru répondre à une vocation. Il ployait sous l'obsession destructrice de péchés rendus presque matéiels et dévastateurs.

A cet égard, le Sacrement de Réconciliation ou de Confession/Absolution des péchés ne peut se réduire à un acte d'audition systématique et routinier.

Rabbi Souzya retourna vite chez son maître. Celui-ci lui dit que les "dons de Dieu sont irrévocables" et qu'il ne pouvait suspendre une bénédiction divine accordée en réponse à tant de ferveur. En revanche, le maître lui proposa de proposer d'obtenir d'auprès de Dieu une autre bénédiction, une grâce modératrice.
C'est ainsi que R. Souzya obtînt du Très-Haut et Bon Seigneur de pouvoir entendre les péchés sans les voir et surtout de descendre avec le pénitent qui se confesserait à lui, sans ployer sous le poids des fautes et des transgressions. Il descendrait au plus profond de l'abîme du mal pour obtenir avec le pénitent le pardon divin et remonter avec lui vers la surface humaine. Une libération. Ce principe est connu dans la tradition juive: c'est celle du mouvement "yeridah leshem aliyah\ירידה לשם עליה = descendre pour (re-)monter". Ce même mouvement est présent dans l'élévation du serpent d'airain dans le désert ou l'"élévation" de Jésus de Nazareth sur le Bois de vie (Crucifixion et Ascension).

Cet épisode est toujours présent à mon esprit. Le silence couvre des choses qui s'empiler dans un non-sens inadmissible. Il est toujours possible de sortir alors de manière opportune des versets bibliques ou évangéliques comme "Père, pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu'ils font" (Luc 23, 34). Le principe est commun dans le clergé et "le peuple". Au fond, il est si facile pour un individu singulier muni d'une autorité sur les âmes - l'expression est en soi comique - de prétendre que les autres devraient être plus humble que lui-même ne le sera jamais... A ce niveau, je dois dire que le nombre d'exemples de ce type de petits despotes paisiblement inspiré de rien est pullulant.

Le pardon induit une conscience. La conscience ne peut être évaluée matériellement. Elle n'est pas à la mesure de centilitres, de mètres carrés, inches, cubits, verstes ou éphas. A Jérusalem, dans la société israélienne - pour parler du lieu où je sers comme prêtre, il est évident que toutes les mesures possibles se croisent et s'ignorent par la "magie" d'une opacité épasse, dense, profonde qui emporte tout et conjugue les âmes, les langues, les êtres, les générations, bref l'histoire dans virvoltement aux allures d'incohérence.
Tous les paramètres mentaux et comportamentaux sont présents, d'une façon qui est "trop". En hébreu, on parle de "Yitron/יתרון" - au sens de "quel est l'avantage à...?" (Qohelet 1, 3). On dirait "too much" en anglais ou "c'est trop" en français courant (2012).

Le Jour du Grand Pardon ne peut être séparé d'un mouvement liturgique annuel. Il mène à la fête des Tentes ou Sukkot/חג הסוכות, la fête eschatologique des Tabernacles.

Toutes les liturgies orientales orthodoxes ou pré-chalcédonnienes sont clairement d'inspiration kipppourique. La liturgie byzantine amarée à l'expression hellénistique ou syro-araméenne est issue du culte du Temple de Jérusalem et son développement est apparu comme un surgeon d'une sensibilité et véracité typiquement sémitique. Les Eglises de la tradition occidentale ont progressivement pris le large.

Les Eglises n'ont pas de "Fête eschatologique des Tentes". Les Eglises byzantines ont un temps liturgique unique après la Pentecôte. C'est le temps dit de "Esprit ou de Pentekoste" qui s'est affirmé au jour-même de la Fête de Shavûot ou Fêtes des Semaines, Don de la Loi écrite et orale. C'est ainsi que le judaïsme se perçoit.

L'Esprit et la Loi, dans la mesure où tous peuvent reconnaître que Dieu n'est que source de mouvement dynamique. Il faudra précisément beaucoup de temps pour que les chrétiens et les les juifs puissent saisir la portée de la formulation paulinienne: "La Loi tue, l'Esprit fait vivre / το γαρ γραμμα αποκτεννει, το δε πνευμα ζωοσιει" (2 Corinthiens 3, 6).

La suppression de la fête eschatologique des Tentes conclut en apparence une ère liturgique. La parole de saint Paul a été le plus souvent perçue de manière négative à l'égard de la tradition juive, dès son temps jusqu'à nos jours.

Il est possible d'interpréter autrement ce verset. La Loi n'est pas abolie (Romains 9, 4). Elle est naturellement accompagnée par la Loi Orale ou Mishna, fondement et matériau qu'est le Talmud qui a été tardivement transcrit et constitue l'esprit, la manière mentale et pédagogique particulière qui ouvre sur le don des Commandements au Sinaï.

La grammaire hébraïque, dans la mesure où elle existe intrinsèquement, distingue entre les consonnes ou "os/עצמות - aetzamot". Elles sont écrites, donc "substantielles". Les voyelles sont appelées "âmes/נשמות - neshamot" car elles colorent, donnent une tonalité contrastée et variable, changeant le sens des mots, en hébreu comme en arabe, de manière toujours pertinente et sans apparaître dans l'écriture.

Il appartient aux générations à venir de montrer cette cohérence qui inclut au Sinaï la Lettre et l'Esprit dans une unité harmonieuse. En effet, l'apôtre a raison que la lettre seule ne peut vivre; de ce fait, elle tue en ce qu'elle ne peut entraîner seule à la vie. L'esprit vivifie, suggère, propose, appuie des significations aux formes diverses. Le temps des successions générationnelles ne se sont pas épuisées et nul ne maitrîse la grande fécondité des mots et des souffles présents dans la Tradition.

Le véritable dialogue entre judaïsme et christianisme ne commencera vraiment qu'au jour où l'Eglise, dans sa très grande diversité, atteindra le seuil de ce qu'elle peut accepter et recevoir du judaïsme. Il n'a pas traversé les siècles en vain. Il ne peut y avoir de compétition dans la foi au Dieu Unique et vivant. Cette parole orale qui est au coeur de toute la transmission juive permettra de comprendre avec bien plus de profondeur l'héritage du Nouveau Testament.

La Tradition orale ne peut se substituer à la Tradition des Pères de l'Eglise. Il ne faut pas entrer dans ce domaine qui est volontiers source de conflit. La Mishna est l'âme vivante du judaïsme tel qu'il s'exprime aujourd'hui par le renouveau linguistique et culturel de l'hébraïté. Cette nouveauté doit prendre sa mesure et ses marques pour être reconnue de manière positive et constructive.

Il reste un point à souligner: les nombreuses études talmudiques menées depuis plus d'un siècle par les théologiens allemands, en particulier Hermann L. Strack et Paul Billerbeck (c'est surtout ce dernier qui a réalisé les recherches), sont essentielles. Elles ne suffisent pas et le travail ne peut être mené par les seules entités ecclésiales chrétiennes.

Le Second Concile du Vatican qui s'ouvrit voici seulement cinquante ans a lancé une piste d'approche timide et précaire des traditions juives. Dans son remarquable livre "Einsame Zwiesprache (1958)/(en anglais: "Martin Buber and Christianity, A Dialogue between Israel and the Church, transl. by Alexander Dru, London 1961), Hans Urs von Balthasar faisait, un peu plus de quinze ans après la fin de la Catastrophe-Holocauste, Shoah/שואה , Hurban/חורבן , un constat sincère sur les relations entre le judaïsme et le christianisme (la traduction française est excellente et est accessible à un grand nombre):

"Since the foundation of the Church, a dialogue between Jew and Christian has always been rare and invariably brief. Judaism shut itself off from Christianity, and the Church turned its back on the people which rejected it. The history of their relations and contacts is, it must be confessed, dispiriting."
Ce constat établi en 1958 par écrit reste totalement véridique, vrai et confirmé aujourd'hui en 2012. On ne saurait faire fi de l'évolution des études juives au sein du monde académique chrétien. Ce n'est qu'une infime parcelle de ce qui devrait être mené. Le dialogue n'inclut pratiquement pas de reconnaissance ou de légitimité juive à la société israélienne qui revigorise l'identité de l'homo hebraicus. L'hébreu continue de passer, de traverser la passerelle du temps et de l'espace. Dans sa survivance, il confirme un pardon divin pétri de vie, en dépit de ce que les juifs sont ainsi que toute l'humanité.

Les mots de Hans Urs von Balthasar restent vrais car la pensée, la crédibilité spirituelle d'Israël n'est pas approchée comme à hauteur de ce que les traditions des Eglises chrétiennes prétendent confesser dans la foi.
C'est une chose d'aborder, voire d'accoster, de loin et brièvement, la réalité du judaïsme moderne comme le notait le cardinal suisse allemand. C'en est une autre de d'assurer une compréhension à niveau égal entre ce que le judaïsme et le christianisme disent du Règne de Dieu.

Le théologien de Lucerne poursuivait: "The penances, persecutions and sufferings imposed upon the Jews in Christendom were usually looked upon simply as a just expression of God's punishment, and not, which would have been more Christian, as an addition to the mystery of suffering which the Church contemplates in the Cross: they point and lead to the bottomless misunderstandings and the endless theological short-circuits that followed". (op. cit. pp. 11-12).

En cette veille de la Fête de l'Exaltation de la Sainte Croix célébrée par l'Eglise de Jérusalem, Mère de toutes les Eglises de Dieu, le rappel des paroles de Hans Urs von Balthasar viennent rappeler la profondeur abyssale qui sépare les deux Voies de reconnaître que la rédemption est proposé à toute souffle de vie (prière du soir/maariv de Yom Kippour en rites achkénaze et sépharade).

Hans Urs von Balthasar écrit: "In that atmosphere, the dazzling eschatological light that falls on Israel from the 11th Chapter of the Epistle to the Romans, which had hardly been mirrored in the works of Origen before it was once again obscured, is not so much as noticed. (...) It must be admitted however, that there are times when it looks as though an ultimatum had been delivered, as though the point had been reached  when a final breach was unavoidable." (id.).

La tâche du pardon reste entière, quasi intacte. Par mon ministère à Jérusalem et dans les Eglises orthodoxes, mais aussi au sein du monde catholique, je puis attester que l'étude, la connaissance ne font que poindre. Il s'agit effectivement de bribes d'un dialogue solitaire ou mis en présence de soif insatiable de conquête des âmes. Il est très rare l'étude chrétienne du judaïsme intéresse véritablement les juifs. Elle demeure "anecdotique". Le judaïsme est en phase de reprise du prosélytisme au sein des Nations, sans tenir compte de l'authenticité de l'héritage de foi et d'expression théologique profonde vécue en exil de Jérusalem (Tobie 13).

Archiprêtre Alexander Winogradsky Frenkel

Clôture de Kippour 5773 - Veille de la Fête de l'Exaltation de la Sainte Croix


Si l'on prend garde, les traditions occidentales romaine, latine ou anglicane pour rester dans cette sphère de proximité sacramentelle se sont éloignées de cette racine kippourique. La liturgie ambrosienne de Milan est demeurée plus proche de l'example oriental, tout comme, de manière suggestive, la version tridentine de l'Ordo Missæ romain.