Le pardon et le règne du Roi de l’univers
2 octobre 2014, 10:48
Il
 commence à pleuvoir. C’est normal, c’est la saison. En terre d’Israël 
comme dans l’ensemble du Croissant Fertile, la pluie est signe de 
bénédiction. Comme si l’être humain hésitait entre la sécheresse et le 
déluge…
Pour l’instant, la communauté juive
 se prépare à la frugalité – pourtant joyeuse – de Yom HaKippourim/יום 
הכפורים. La traduction n’est pas facile. Yom Kippour ? Jour des 
Expiations ? Il est question de rançon, de rachat, mais encore ? Jour du
 Grand Pardon? Oui, mais pas seulement.
Que veut dire le « pardon »
 en français, de nos jours et dans le contexte israélien ? Ne serait-ce 
pas « réducteur » alors que le jour est comme un instantané de jugement 
longue durée. Le russe préfère la décision quasi juridique День Суды/Jour du Jugement – l’anglais précise : Day of Atonement(s), certes du « pardon », mais un pardon particulier car il vise un « At-One-ment = s’unir en communauté face au Dieu Un ».
Le Talmud Bava Kamma 40a parle d’une taxe à payer, comme indemnité due en guise de sacrifice et de pardon – aujourd’hui on parlerait de remise de peine.  Il s’agit même d’une indemnité versée en rachat d’une vie perdue… (Bava Kamma IV, 5).
Bref,
 qu’on le veuille ou non, il faut payer cash. C’est gênant, c’est plutôt
 dérangeant : nous sommes dans les cartes de crédit, les paiements 
virtuels. Il suffit d’approcher une carte, plus besoin de taper un code,
 eh voilà fini, payé ! Comment soupeser la densité de notre liberté ?
Le
 jeûne semble plus réel : calcul de 26 heures sans manger, sans boire, 
sans se laver tout en restant présentable. Plus de relations sexuelles. 
Tout cela dans la joie et sans ronchonner… Dur, dur. Il y a bien un 
petit en-cas dans le frigo, un verre de thé pour les anxieux. D’autres, 
plus déjantés, iraient jusqu’à sublimer un Kippour végétarien ou sur 
mesure, quitte à se permettre tout car, entre Dieu et eux puis nous et 
vous, bon, ce serait surtout un jour de réflexion…, d’un partenariat 
entre le visible et l’Ineffable.
Or, ne pas
 manger, ne pas boire, ne pas papouiller, c’est sentir, comme êtres 
pétris de chair et ayant une âme, le prix des calories, la chaleur de 
vivre. Qui parle de mourir ?!
Le Kippour pour pardonner et être pardonné ? Le pardon coûte souvent très cher : notre
 sang, notre âme, nos années, notre vie. Le pardon est la mesure d’une 
vraie conscience, au-delà même de ce qu’elle peut cerner ou percevoir en
 totalité.
A formuler ainsi 
le sens d’un jour singulier, unique et existentiel, les choses semblent 
par trop intellectuelles, spirituelles, presque esthétiques, voire 
théologiquement correctes.
C’est souvent le cas : le Juif sentirait le poids d’une histoire longue, douloureuse, dépassant toutes les normes de la raison.
Car
 le Kippour assure l’histoire. Il ouvre surtout les Portes du présent 
immédiat, donne l’aval pour le futur. Il annule toutes choses imposées 
dans le passé, les rendant caduques et sans lendemain. Du coup, il 
oblige à une mise à jour alors que nous avons naturellement tendance à 
voir aujourd’hui à travers le prisme de ce que nous connaissons ou 
comprenons d’hier.
Pardonner ? Allons donc ! Bien sûr, il est plus aisé de se saluer au jour du Kippour par un « tsom qal/צום קל = (passe) un jeûne simple, léger » que de dire presque machinalement « shalom ousli’ha/שלום וסליחה = bonjour et pardon, pardonne-moi ». 
Il s’agit d’un blanc-seing qui ouvre sur les 354 jours de 5775. Cela prendra un autre relief pour 2015.
La
 prière de Kippour est profonde, pleine de significations que l’on croit
 comprendre et qui, pourtant, dépassent l’entendement : « Pardonne/sela’h-סלח,
 annule/me’hal-מחל (remets, renonce, absous), réconcilie/kapèr-כפר 
(rachète, libère) toute la communauté des Enfants d’Israël et l’étranger
 (guèr/גר ) qui habite au milieu d’elle, car tout le peuple a failli par
 déraison (ki kol ha’am bichgaga’/כי כל העם בשגגע).
Pardonner, effacer, rendre ultra-propre sans blanchiment ? Il est question de conscience. C’est battre son « achamnu/אשמנו = « nous avons été coupables »
 de la confession (Vidouï/וידוי) dite trois fois par jour, reprise tout 
au long du Kippour. Chaque mot suit l’ordre alphabétique. Celui-ci est 
le premier, prononcé en se frappant la poitrine. C’est devenu le 
« battre sa coulpe », un réflexe chrétien latin.
Sérieusement : « … nous avons été odieux/תעבנו, nous avons été dans l’erreur/תעינו, nous avons induit les autres dans l’erreur/ תעתענו … »,
 cela veut dire que personne n’est au clair  ni avec soi-même, ni envers
 les autres alors que Le Saint Béni soit-Il, voit et supporte tout ?
Est-ce insensé ? On oscillerait entre le « poutz/פוץ’‘ yiddish : un simple d’esprit et le schpountz fada. Nous passons notre temps en « Sorry, my apologies, I beg your pardon (je mendie
 votre pardon…) » qui se répondent en échos automatisés. Franchement, 
combien de personnes vous ont vraiment demandé pardon ? Et moi, quand 
est-ce que je pardonne sans que l’on puisse croire que je ne suis 
peut-être pas un inconscient immature ou stupide ?
Le grec le dit bien dans la prière de Jésus de Nazareth qui est kippourique : « Remets-nous nos dettes comme nous les avons déjà remises [afikamen/αφήκαμεν] à nos débiteurs = pardonne-nous nos transgressions comme nous avons déjà pardonné
 à ceux qui nous ont offensés » (Matthieu 6, 12). Sauf erreur, aucune 
autre langue n’a gardé cette distinction si forte : ‘il faut d’abord se 
réconcilier avec autrui avant d’attendre le pardon divin et non 
l’inverse.
Le texte araméen original indique davantage : « pardonne, remets-nous nos dettes (‘hawbayn) et nos péchés (‘hatayn)« .
 C’est une chose de remettre des dettes, de libérer de toute contrainte 
économique, donc sociale, communautaire. C’en est une autre de pardonner
 toute faute « commise par pensée, par action, par manque de conscience, par intention, par injustice, par vouloir » (Maavar Yaboq/מעבר יבוק, prière des agonisants, rite achkénaze).
Les fêtes d’automne ont apparemment disparu des traditions des Eglises. Pourtant… L’Eglise byzantine,
 donc orthodoxe et catholique – marque l’entrée du Grand Jeûne ou Carême
 par le Dimanche du Pardon qui mène à la fête de la Pâque.
A
 Jérusalem, les fidèles se retrouvent dans l’église des Saints 
Constantin et Hélène (dits « égaux aux apôtres ») située au-dessus du 
Saint-Sépulcre. Après une longue confession des transgressions et des 
suppliques à Dieu, chaque fidèle s’approche du clergé – à commencer par 
le patriarche Theophilos de Jérusalem, puis de chacun/e quel que soit le
 rang ou l’origine, demandant et donnant le pardon à chacun.
Dans
 la tradition slave, cet office peut durer des heures : chacun se 
présente, s’incline, s’agenouille devant autrui, demande et reçoit le 
pardon qui est donc réciproque par le geste et la parole.
C’est
 un moment solennel. Certes, il peut sembler formel comme tout acte 
religieux ou humain. Ce sont des heures chargées d’intensités, empreints
 de gravité. Au fond, les paroles sont les mêmes qu’en hébreu « shalom ousli’ha = paix et pardon ». Certains préfèrent « tsom qal = jeûne léger, en russe « s postom/с постом, en grec « kali sarakosti/καλη σαρακοστή = bons quarante jours (durée du jeûne) ».
Tout
 comme au jour de Kippour, tout le monde – clergé et fidèles – doit 
jeûner, ne pas manger, ni boire, ni se laver ni avoir de relations 
sexuelles… pendant le temps du Grand Jeûne. Le clergé marié oriental est
 donc astreint à la même règle que les fidèles.
Il n’est pas question du mariage des prêtres, ni du divorce pour tous ou de la diététique bio pour chacun.
Le temps est plénier, riche d’une plénitude en mouvement.
Il
 y a des croyants pour affirmer que la Présence divine est là, vraiment 
là, dans ces heures-là, ici et partout. Dépassant nos propres vies et 
consciences, cela peut même sembler inhumain à certains : tant de 
meurtres, de massacres, d’errances, de désespoirs, de haines, de dédain.
Cette
 Présence suspend un temps pour dire que la vie va continuer et que 
c’est très bon. Et alors, on mange, on boit, on aime à cause de cette 
liberté, au printemps comme en automne.
« Que
 le Maître du temps et de l’univers nous fasse grandir mille fois et 
bien au-delà de ce que nous sommes. Si tel est Son bon plaisir. Amen. »
(prière de bénédiction, fin de Yom Kippour, Neyla).
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