Il pleut. Ces jours-ci, on
finirait presque par radoter au gré des éclairs, des orages, de pluies
fortes ou éparses. Ou encore les vraies inondations… le déluge quoi !,
le « maboul/מבול » archaïque, diluvien. Le nom hébreu est si réaliste en
français.

Précisément,
« Boul/בול » est aussi le nom donné à ce mois de « Mar-‘Hechvan » un
peu fade, sans fête. Un mois de balayage technique : les feuilles se
meurent, les arbres sont décatis (Traité Roch Hachana I, 56d). Entre
amertume et apathie, ce n’est que le 7 ‘Hechvan (31/10) que l’on priera,
sur place, pour qu’une pluie abondante féconde vraiment la terre
d’Israël. Comme si les eaux risquaient de nous engloutir pour de bon. 

Le Chabbat « Bereichit/Au commencement » a
rappelé que tout ne fait que commencer et se décide en ce moment pour
l’année. Il y a toutes sortes d’expressions dans toutes les langues pour
affiner une affirmation « En tête, en l’archaïque ».

Il est dit dans le Talmud (Traités Nedarim
39b/Pessahim 54a) : « Sept choses existaient avant que le monde soit
créé : la Torah/Loi, la Techouva/Pénitence, le Gan Eden/Jardin d’Eden,
la Gey Hinnom/a Géhenne, le Kissé HaKavod/le Trône divin, le Devir/Saint
des Saints et le Chem HaMashia’h/le Nom du Messie ».

Avant de matérialiser les mondes visibles et
invisibles, les créatures, l’Eternel n’était pas seul. Il avait ce
Conseil représentatif des valeurs fondamentales. On sait aujourd’hui que
ces textes ont été finalisés au IIème siècle. Une broutille face à
l’éternité.

C’est un peu comme quand Jésus de Nazareth
affirme qu' »Abraham s’était réjoui de le voir ». La réponse est
immédiate : « Tu n’as pas même cinquante ans et tu as vu Abraham ? » –
Jésus répond : « Avant qu’Abraham n’existe, je suis » (Jean 8, 57-58).

L’après précède l’avant tandis que le passé
n’a de sens que pour l’avenir. Sous la soucca, Abraham était présent,
même fin 5774, comme « special guest », oui ou non ?

La question est de savoir ce que nous voyons,
voulons bien voir et comprendre. Aidé par Son Conseil consultatif,
l’Eternel a-t-Il lancé une  méga méga start-up ? On a beau traquer le
Big Bang, aucune archive médiatique n’a le single de ce moment primal…
pour l’instant.

Et pourtant, elle tourne ! A en donner le
vertige, l’univers virvolte en expansion. Pauvre Galilée! C’est
implicite à la Création : « Elo.him a fendu le ciel et la terre.
(haaretz/הארץ) Le mot est mis en relief par « ratzon/רצון = volonté,
projet, déploiement » et « routz/רוץ = courir, faire une course »
(VaYikra Rabba 18).

En cinquante ans, avons-nous fait un saut
immense ou bien seulement ténu ? Nous prenons lentement conscience de ce
mouvement qui fait que « haaretz » part d’une révélation terrestre à la
découverte d’un univers composé de galaxies. Cela donne une autre
mesure à notre histoire, sa profondeur, sa durée.

Oui, et alors ? Le Conseil qui entoure
l’Eternel avant la création s’est « matérialisé » d’une manière ou d’une
autre : La Torah/Loi existe, écrite et orale instaure un dialogue
possible et ouvert. La Techouva/Pénitence inspire des attitudes
nouvelles et le remords humain. Le Gan Eden est paradisiaque, entre le
rêve, l’illusion, l’espoir, parfois le désir de jouissances. La Géhenne,
le Trône divin, le Devir/Saint des Saints se sont incarnés à Jérusalem.
Quant au Nom du Messie, il est sur toutes les lèvres, proclamé, nié,
dénié, renié, à coups de mégaphones ou dans le secret.

Il manque un nom : celui de Chalom-שלום/la
paix. Le paradis ? Le retour ou la réponse à Dieu ? Le pôle Sainteté ? A
la limite chacun se les approprie à sa manière et les interprète à sa
guise.
En Israël, et surtout à Jérusalem, il suffit
de passer deux-trois heures à écouter ce que racontent les « guides » de
toutes origines et tendances pour comprendre que le Big Bang originel
et ses conséquences sautillent souvent entre le fantasme et le délire
commercial ciblé. On est face à une confusion à la carte qui satisfait
les différences.

Mais la paix dans la région ? En Israël, le
terme est utilisé à tout va. Franchement, sur 7 000 ans, combien y
a-t-il eu de temps de paix dans le pays ? Nous sommes irrésistiblement
attirés par cette paix, – ce temps « irénique » dont parle la tradition
orientale – eh bien, soyons francs : sept ou dix mille ans, c’est une
gouttelette au regard du Big Bang, dans une zone où tout bouge au long
de cette fosse syro-phénicienne qui va de la Turquie jusqu’en Ethiopie.
La terre tremble régulièrement.

Il doit y avoir une méprise persistante. Chaque jour, il y a des groupes pour prier, manifester, réclamer LA PAIX.

Les « Jours » pour la paix se multiplient en
solo comme si « ma paix n’est pas la tienne ». Il faudrait créer des
« Nuits pour la paix ». De là à dire « Paix ! Plus jamais la guerre… »,
est-ce bien raisonnable ? Est-il vraiment question de cela ?

La paix ne consiste pas à se regarder
béatement. A la salutation « Shalom aleikhem/שלום עליכם = la paix soit
sur vous/toi », on répond « aleikhem shalom = sur toi soit la paix ».
Cela ne veut pas dire que « çà plane ».

La racine « shalem » veut dire « être complet,
parfait, solide, en bonne santé ». Il y a un autre sens qui est
implicite: « payer, acquitter ses dettes ». « Hishlim/השלים = signifie
« réconcilier, voire payer une rançon ». C’est l’un des termes les plus
délicats à traduire de toute l’Ecriture et de la tradition rabbinique.

Ainsi, Jacob revient « shalem » à Sichem : il
est sain et sauf, en bonne santé (Bereishit/Genèse 33, 18). Quand
l’Eternel prend possession du Temple, Salomon (« homme de paix,
Shlomo-שלמה ») dit

une prière : « Tous les peuples sauront que l’Eternel est Dieu et qu’il
n’en est pas d’autre; votre coeur sera « shalem = loyal » envers Lui… (1
Rois 8, 61).

En revanche, « Si j’ai rendu le mal à mon
allié (sholem) » (Psaume 7, 5) désigne davantage une alliance. En tout
cas, il vaut mieux agir « beshalom/בשלום = consciencieusement, avec
sérieux ».

La paix a donc un prix qu’il faut
réévaluer tout le temps pour éviter la guerre. En hébreu,
« milkhama/מלחמה = guerre » veut dire qu’on ne peut plus partager un
repas, soit de pain (lekhem/לחם) ou de viande (lakhma\לחמא comme en
arabe ou araméen). On est dans le processus d’une négociation
permanente. Un dialogue tribal aux dimensions universelles. Il faut
savoir que ce que l’on veut: « neshèq/נשק = arme » comparable à
« neshiqa/נשיקה = baiser » (Yevamot XV, 14d). Tout dépend du contexte.

Les Eglises ont toutes l’expression connue
chez les Latins comme « Pax vobiscum », chez les Orientaux « Irini pasi =
paix à (vous) tous ou « shlama l’koulkhoun » en araméen. A première
vue, ce sont les paroles de Jésus à ses disciples.

Quelle paix ? Passer un accord de
non-agression, un pacte ? Ou bien être dans la quiétude orientale ?
Jésus ressuscité est apparu aux disciples et il leur a dit « Paix à
vous » (Jean 20, 19.21.26). Il a clairement utilisé l’expression
sémitique (Berakhot 27b).

Il y a sans doute plus : la bénédiction
sacerdotale (Birkat Kohanim\ברכת כהנים) est prononcée chaque jour et
solennellement les jours de fêtes à Jérusalem au mur Occidental. Elle
est, d’une certaine façon, l’acte quasi ininterrompu qui confirme le
sacerdoce d’Israël de bénir et de transmettre la paix divine
(Bemidbar/Nombres 6, 24-26).

La paix a une dimension viscéralement
prophétique. Elle implique une espérance qui transforme les pactes
temporaires en un état d’équanimité, d’équilibre personnel et
communautaire. La vision de cette tranquillité est celle du prophète
« Le loup habitera avec l’agneau, la panthère se couchera avec le
chevreau… sur le trou de la vipère le jeune enfant mettra la main. On ne
se fera pas de mal ni de violence sur toute ma montagne sainte, car le
pays sera rempli de la connaissance de l’Eternel » (Isaïe 11, 9).

L’Eglise a porté sur Jésus de Nazareth
l’essence-même de cette paix sans la délier du Père céleste/אבינו
שבשמים. Les célébrations orthodoxes insistent sur cet équilibre.

La liturgie byzantine commence par « En paix –
pour la paix d’en-Haut et le salut de nos âmes – pour la paix du monde
entier, pour la prospérité des saintes Eglises de Dieu et pour l’union
de tous, prions le Seigneur ». Elle se termine par « Sortons en paix ».

Ces mots sont proches du chant du chabbat
« Venez en paix, vous les anges de la paix » qui s’achève par « Sortez
en paix, anges de la paix, messagers du Très-Haut ».

Les Latins languissent après l’unité dans la
paix : « Délivre-nous de tout mal, Seigneur, et donne la paix à notre
temps; dans ta miséricorde, délivre-nous du péché et conduis-nous vers
l’unité parfaite ». [Prière après le "Notre Père"].

Certains croyants ont le chic pour exulter de
paix. On croise en Terre Sainte des êtres en qui l’innocence ou
l’inconséquence mentale se mêlent en des paroles pieuses souvent pleines
de fiel bien que dites sans malice.

Le jeune homme interrogea Jésus : « Bon
maître, que dois-je faire pour avoir la vie éternelle (en héritage) ? »
Le Nazoréen répondit : « Pourquoi m’appelle-tu bon ? Nul n’est bon que
l’Eternel seul. Tu connais les Commandements… » (Marc 10, 17-19).

On ne badine pas avec la paix. Encore moins au Proche-Orient.  La paix est là, de notre vivant, bientôt et dans un temps proche.

S’il vous plaît, dessinez-moi un mouton.